Les poèmes de mon père 2ème partie
TOUS LES POÈMES DE MON PÈRE ÉCRITS ENTRE 1917 ET 1970, ONT ÉTÉ RECONSTITUÉS DE MÉMOIRE, POUR LA PLUPART, APRÈS LA PERTE DE SON RECUEIL DANS LES BOMBARDEMENTS DE LA GUERRE 1939-1945
L'étang se couvrait de roseaux,
De roseaux verts, à sa surface ;
Dans leurs fouillis cachait ses eaux,
Ou les montrait de place en place.
Un chant, assez beau, s'élevait
De la jungle du marécage ;
Je me demandais qui pouvait
Avoir un si gai babillage.
Une frange de peupliers
Jetait, au vent, leur gros murmure,
Comme les concerts familiers
Que l'on entend dans la nature.
Mêlés à leurs bruissements,
M'arrivaient, sur l'aile des vents,
Les chants moqueurs des rousserolles,
Et j'entendais, au fond de moi,
Murmurer je ne sais plus quoi
Qui ressemblait à des paroles.
Le Castellan, morne et railleur,
Semblait mouvoir sa tête brune,
Me convier d'aller ailleurs
Pour oublier mon infortune.
Alors, blessé dans mon orgueil,
Je dis: "Le passé! que m'importe ?
Aujourd'hui, j'en quitte le deuil,
Lui ferme, pour toujours, ma porte."
Ce que, dans son cerveau, l'homme garde en lui-même,
Peut-il, quand il le veut, le chasser à jamais,
Soit que son idéal, ou méprise ou blasphème ?
S'il le fait, un moment, c'est pour avoir la paix.
La paix avec son coeur, avec sa conscience,
Comme on porte un bouquet de fleurs sur un tombeau ;
On s'agenouille, enfin, dans l'ombre et le silence
Où l'on sent un frisson courir sur notre peau.
Notre oeil, déjà trop sec, a contenu ses larmes,
Regarde, autour de lui, le sol lugubre et froid,
Où ces guerriers du temps ont déposé leurs armes
Dont ils ne pouvaient plus en supporter le poids.
Ah! s'il en était un qui voulût me redire,
A l'âge où le cyprès germait sur le clocher
De mon heureux pays, où la vague soupire,
Ce qu'il était jadis, et qu'il veut nous cacher !
Si nous pouvions, au moins, éclaircir le mystère
De la création où s'agitent nos pas !
Nous contemplons le ciel, nous ignorons la terre,
Et nous voulons savoir où nous ne sommes pas.
Un jour viendra...mais toi, mon Castellan superbe,
Droit, dans l'Éternité, tu feras ton chemin ;
Nous nous reposerons sous une touffe d'herbe ;
Disparus, dans la terre, hélas! sans lendemain.
Les siècles et les temps, effaçant toute chose,
Passeront sur nos jours que l'on ne verra plus,
Nous subirons, alors, notre métamorphose,
Au sein des éléments où nous serons reçus.
Là bas, comme jadis, au flanc de la colline,
Descendra le troupeau du pâtre, avant le soir,
Dans les airs langoureux, d'une flûte divine,
Qui l'accompagnera jusques à l'abreuvoir.
Marseille, le 12 juin 1953
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Arles, pierres, maison, vestige du passé,
Chemin au bord du lac, sentier dans la montagne,
Promenades du soir dont j’étais harassé ;
Chansons, chansons d’amour que chantait ma compagne,
Serais-je donc par vous aujourd’hui délaissé ?
La ville me retient, quand je veux la campagne.
Istres, je te salue et vers toi je reviens,
Donne-moi le repos, la paix, la solitude,
Je m’envelopperai de la mansuétude
Des lieux que je chéris et auxquels j’appartiens.
La mer de ses flots bleus cisèle la colline
Qu’elle aspire et retient dans son sein bouillonnant ;
Les cieux, émerveillés, dans leur pourpre divine,
Ouvrent un œil distrait sur le monde ignorant.
Eh ! que se passe-t-il sur la terre où nous sommes ?
Il n’est rien de nouveau, ce ne sont que des hommes
Criant leur liberté pour les jours à venir !
Alors que dans les champs, où le blé vert frissonne,
La main du laboureur, chaque jour, prend et donne,
L’humanité s’insurge et veut s’anéantir.
Marseille, le 26 mai 1944
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Puissance de l’amour, ô jeunesse éternelle,
Reviens me visiter, me parler encor d’elle.
Sur les marches d’un temple, un soir, elle me dit,
Me jura de m’aimer jusque dans l’autre vie ;
Et ses bras dans mes bras, jamais inassouvie,
La nuit, de son manteau, quelquefois nous couvrit.
Seule, une giroflée, au faite de l’église,
Aspirait dans les airs un peu d’humidité,
Et sa corolle d’or, que tourmentait la bise,
A nos yeux s’effeuillait avec rapidité.
C’était un soir de mai ; ma rapide existence
Prenait ce que m’offraient les larmes de l’amour ;
Jeune, je n’avais pas acquis l’expérience
Que donne le baiser, même dans la souffrance ;
Je riais, je pleurais et chantais tour à tour.
Sachez me pardonner, enfant de ma patrie ;
Mon pays n’a-t-il pas de miracles nouveaux ?
Lorsque sur notre front, quelque vent de folie,
Tourbillonne, s’abat, au feu du ciel s’allie ;
Le remède n’est-il à côté de nos maux ?
Quoi ! si jeune, aurais-tu, déjà de ta paupière,
Essuyé quelque pleur que distillent tes yeux ?
Cette larme d’argent ne serait la première,
Le premier diamant qui brille à la lumière
D’un rayon de soleil venu, pour toi, des cieux !
Il faut avoir aimé pour souffrir sur la terre ;
Nous laissons des regrets éternels après nous :
Suivant les mêmes pas que nous faisons naguère,
Nous venons visiter l’ombre qui nous est chère,
Écouter cette voix dont le timbre est si doux.
J’avais, pâle écolier, contracté l’habitude
De diriger mes pas vers l’herbe des tombeaux ;
Les morts, autour de moi, dans leur mansuétude,
Ne semblaient point avoir d’autre vicissitude
Qu’un immense frisson qui disloquait leurs os.
La mer battait le roc ; le cyprès monotone
Ajoutait à ces bruits son spectre dans la nuit ;
Je courus, j’appelai, mais n’entendis personne,
Sauf les coups répétés d’une horloge qui sonne...
Le jour, à son lever, me trouva dans mon lit.
Vous dirais-je comment ? Je ne le sais moi-même,
Sur l’aile de l’amour un ange m’emporta,
Sa bouche semblait dire, à chaque instant : je t’aime,
Je ne te quitte plus, ébauchons le poème
Que nous venons de vivre, et Dieu seul écrira.
Marseille, le 11 avril 1945.
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Lorsqu’au lever du jour, la vive messagère,
L’alouette a quitté son nid dans la fougère,
Au-dessus des sillons sème ses cris joyeux,
Mon cœur, comme l’oiseau qu’un pur instinct appelle,
Les revient visiter à l’aurore nouvelle,
Leur faire ses saluts et ses touchants adieux.
Bel oiseau, t’en vas-tu pour ne plus revenir ?
Lègues-tu ton plumage au buisson qui se penche ?
A l’épine, l’agneau livre sa laine blanche.
Quel gage à l’amitié laisse le souvenir.
Écrit à Marseille, vers 1923.
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Vous aviez espéré, de la vie, un miracle ;
Le miracle se fait mais on ne l’attend pas :
La scène se prépare et l’on voit le spectacle
Que nous avions suivi, jusqu’ici, pas à pas.
Mais si votre désir passe votre espérance,
Vous aurez des regrets immortels dans le cœur ;
Avec l’âge l’amour devient une science
Dont on n’a pu sonder encor la profondeur.
Il faut, à ses désirs, donner une limite,
L’âge vient, et le cœur, enfin désabusé,
Se rend compte d’avoir, un jour, battu trop vite,
Si jeune et déjà vieux, par les plaisirs usé !
Brisez votre miroir, peu sage et si fidèle,
Conservez dans vos yeux l’image d’autrefois ;
Sachez, en les fermant, revoir votre modèle,
Et vous lui parlerez avec la même voix.
Tout n’est qu’illusion dans le monde où nous sommes,
Les cheveux blancs viendront et vous feront vieillir.
Vous tenant à l’écart, loin du regard des hommes,
Vous les arracherez sans pouvoir en guérir.
Marseille, le 15 mai 1945.
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Non, Andrée, aujourd’hui m’est différent d’hier,
Ne songeons pas aux maux qui suscitent les larmes,
C’est tourner contre soi la pointe de ses armes
Qui nous menacent de leur fer.
L’univers est si grand, et l’âme si légère !
Le désir inconstant, et l’humeur passagère !
Tout passe, tout s’éteint sans pouvoir se fixer :
Il faut, de l’avenir, laisser avancer l’ombre,
Et ne jamais compter le nombre
De nos jours, qu’ici bas, nous voudrions compter.
Enivré de désirs, dégoûté d’espérance,
Naguère n’ai-je pas vu béant devant moi,
De l’avenir, ce gouffre immense
Qu’à présent je contemple et revois sans effroi !
Ainsi, pour contempler la beauté fugitive,
Qui fuit loin des regards comme l’eau de la rive,
J’ai veillé bien des jours au seul bruit des échos,
Et je n’ai vu qu’un léger voile,
Passer et repasser comme une blanche voile
Qui se promène sur les flots,
Puis s’enfuit à jamais au céleste séjour,
Sans dire en s’en allant : « Attendez mon retour ».
Ainsi, vous partirez, fugitive hirondelle,
Loin de ce cœur qui vous appelle,
Et vit de tristesse et d’amour.
Ecrit vers 1917.
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Vous aviez le secret de mes jeunes années ;
Vous étiez en offrande à l’autel de l’amour,
Et conserviez encor, plus que des fleurs fanées,
Cet immortel parfum dont on veut le retour.
Parfum d’ambre ou de muse né d’une chevelure
Brune ou blonde, qu’importe ? Il est temps d’y penser :
Deux femmes, deux amours, sans plainte ni murmure,
Mutilant leur beauté, que leur fit la nature,
A mon intention venaient de l’offenser.
Quinze ans j’ai conservé cette chère relique
Que nouait un ruban n’ayant plus de couleur ;
Parfum qui revenait comme un air de musique
Qu’on aime à rappeler dans le fond de son cœur.
Vous n’êtes plus, hélas, que fantôme et poussière,
Le néant m’a ravi tout ce que vous étiez :
Confidences, amour, repos, salut prière ;
Non vous n’êtes pas morts et vivez tout entiers ;
De mon ciel azuré vous êtes la lumière
Dont, sur mon front pensif, jadis vous descendiez.
Elles me rattachaient à cette heure d’ivresse
Quand, après le serment de les garder toujours,
Je leur renouvelais cent fois cette promesse,
De placer dans l’écrin, leur brune ou blonde tresse,
Où devait les laisser le dernier de mes jours.
Je vous ai dit adieu, gage de l’espérance.
Qui m’eût dit que ces fronts, que vous aviez ornés,
Abandonnés des soins prêtés par la science ;
De notre vie ayant la dure expérience,
Le regard dans le ciel, vers Dieu seraient tournés !
Ecrit à Marseille, le 1èr janvier 1946.
© SDGL - Échos Poétiques 2005.
Marius LAUGIER
ISTRES (2)
Jadis, j’ai célébré quelque amandier en fleurs
Sur le penchant d’une colline,
A l’heure où le soleil déverse ses couleurs
Et donne une teinte divine
Au nuage, au rocher, même à l’algue marine
Dont la tresse mobile exprime quelques pleurs.
Pourquoi, me dira-t-on, reparlez-vous sans cesse
De ce rivage fortuné ?
Hélas ! je répondrai, c’est toute ma jeunesse
Qui tient dans ce vallon où j’ai goûté l’ivresse,
Où ma mère allaita son jeune nouveau né.
Dans ce petit pays, j’entends à mon passage,
Les maisons me parler tout bas :
Elles ont la couleur, l’odeur du ramonage,
Ce parfum ne me trompe pas,
Je le guette et l’attends, l’aspire à chaque pas,
Je décèle, en lui seul, l’âme de mon village.
Les greniers, eux aussi, conservent la saveur
De leur ancienne indépendance :
Ils sont plus gris, plus noirs, et n’ont plus la couleur
Du reste du logis, ni la même existence ;
Ils sont plus délaissés, mais ont plus de bonheur
Avec moins de magnificence.
Au milieu de la place, une blanche fontaine
Dresse sa stèle vers les cieux ;
Le troupeau gémissant, que le berger ramène
De paître sur les monts, boit en fermant les yeux ;
Le chien, impatient, tout autour s’y promène,
Veille sur ce trésor avec l’œil laborieux.
Un vieux mulet, vaincu par l’âge et la souffrance,
Porte péniblement son faix ;
Sa lèvre touche au sol ; il approche en silence,
Regagnant l’écurie ; il aspire à la paix
Pour laquelle, en chemin, il faisait diligence,
Espérant, au repos, jouir de ses bienfaits.
Les vieux se sont assis en rond devant leur porte,
Racontant leur jeunesse aux champs, à la maison ;
Des histoires de toute sorte,
Ils en débitent à foison,
Comme le vent les leur apporte.
Une vieille édentée affine son minois,
Et de sa main ridée ouvre sa tabatière,
Retire du tabac dans le bout de ses doigts,
Et sans remuer la paupière,
L’aspire par le nez, le jour cinquante fois.
L’écho d’un chant lointain arrive
Jusqu'à l’oreille du passant :
La chanson est si belle, et la voix si plaintive !
L’air est si doux, si caressant
Dans sa musique fugitive,
Et le chanteur presque innocent.
C’est Jérôme, l’enfant que tout le monde appelle,
Que tout le village connaît ;
Sa claudication, hélas, n’est pas nouvelle,
Tous les hivers elle renaît,
Comme aux jours de printemps sa voix de Philomèle.
Un soir, ce beau chant s’éteignit.
Le village resta tranquille.
Sans savoir qu’il fût mort, doucement le plaignit.
Et, dans sa demeure d’argile,
Le destin, pour toujours, le prenant, l’étreignit,
Fermant ses grands yeux noirs sous son voile immobile.
Ah ! résonnez cloches sacrées,
Aux fêtes de Dieu consacrées,
Célébrez, dans vos tours, le mystère divin.
Il faut rééduquer l’homme dans sa famille ;
Et ces heureux instincts dont son âme fourmille,
Les faire prospérer par un constant levain.
La pâle giroflée, au faîte de l’église,
Resta trois jours en fleurs pour en marquer le deuil,
Puis le vent l’emporta, comme elle était promise,
Pour être déposée au pied de son cercueil.
Istres, c’est une fleur, dont j’avais pris la graine,
Que j’ai semée, un soir, au fond de mon jardin ;
Dont les bouquets dorés, lorsque je m’y promène,
Me reparlent d’hier pour me cacher demain.
Écrit à Marseille, le 23 janvier 1948.
Marius LAUGIER
PENSEES D’AUTOMNE 2
Soufflez, soufflez, vents de l’automne,
Soufflez repoussez les hivers.
La feuille, que l’arbre abandonne,
Tache de brun les coteaux verts.
La dent de l’aubépine arrête
La marche du vieux promeneur ;
La macreuse suit la tempête
Que tente de fuir le pêcheur.
Les roseaux sifflent sur la rive ;
Il semble qu’un peuple inconnu
Fasse entendre sa voix plaintive,
De la mer bleue au mont chenu.
C’est la saison où la pensée,
Comme un vol d’oiseaux migrateurs,
Nous quitte et, soudain élancée,
Prend son vol vers des ciels meilleurs.
C’est l’heure où la feuille qui tombe
Recouvre le même gazon,
Dernier abri de la colombe,
A l’avant-dernière saison.
Un chemin, à travers la ronce,
Sous le dôme d’un peuplier,
Quand une bouche le prononce,
Redit un nom presque en entier.
Quel est-il ? laissez le mystère
Pieusement l’ensevelir,
Feuille à feuille, sous cette terre,
Où nul ne viendra l’éclaircir.
Il existe la maisonnette,
La terrasse où, penchant la tête,
On contemplait, au fil de l’eau
Comme dans un miroir magique,
Les arbres, le ciel magnifique,
Où le passage d’un oiseau.
Comment oublier, O nature,
Sans se défendre d’un murmure,
Ces autodafés de l’amour :
Amour du cœur, amour de l’âme,
Consumés de la même flamme
Et fats pour le même séjour ?
Les ans ont effacé la trace
Des pas qu’on ne peut oublier.
Ce souvenir passe et repasse ;
L’on revient à la même place
Du banc qui nous fut familier.
Laissons couler la plaie ouverte :
Le sang qui s’en échappera
Maculera la feuille verte,
Et sur une tombe déserte,
L’amour en deuil sanglotera.
Ecrit à Marseille, le 24 octobre 1948.
Date de dernière mise à jour : 2023-06-01 12:26:30