Les poèmes de mon père 3ème partie

 

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LA SOURCE

Elle coulait, calme et douce,
Dans les herbes, sans secousse,
La source au flot argenté.
Ignorant tout de la terre,
Elle achevait le mystère
De son cours précipité.

Au vieux mendiant qui passe,
Elle dit : « Reprends ta place,
Assieds-toi près du chemin,
Plonge ton front dans mon onde
Avant d’aller par le monde
Courir un autre destin.

Nous nous reverrons peut-être ;
Je saurai te reconnaître :
Tu portes, sur ton front pur,
La lumière dont se pare
Mon onde quand je m’égare
Sous un ciel d’or et d’azur ».

Ecrit à Marseille, le 30 mai 1947.

 
 
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PASSANT, ARRETE-TOI...

Passant, arrête-toi sur le bord du chemin,
Je ne te connais pas mais je te tends la main,
Je crois que, comme moi, tu n’as pas de courage.
Nous avons, à peu près, tous les deux le même âge.
Je ne sais pas ton nom, j’ignore ton pays,
Nous allons converser comme deux bons amis,
Et nous entretenir un peu de notre rêve
A l’heure où dans le ciel une étoile se lève.

Que fais-tu la si tard, à l’heure où tout s’endort ?
La campagne est déserte, on dirait que la mort
Souffle sur le chemin ou court dans la vallée,
Et parmi les vivants on la croirait mêlée.
Tu dois souffrir d’un mal dont j‘ai pleuré longtemps,
Ta paupière est livide et ton sein palpitant,
Ton front est alourdi du poids de ta pensée,
N’abrège pas ta vie à peine commencée.
Frère de la douleur, au sortir du berceau
Je fus chéri, choyé sur le sein de ma mère ;
Les chemins étaient grands, l’ombre du ciel légère,
Sous mes pas tout pliait, j’ignorais qu’un tombeau
Put un jour contenir l’âme qui nous est chère,
Nous ravir à jamais le jour qui nous est beau !
Mon père s’est éteint dans sa trentième année.
Regarde à l’horizon ce promontoire noir,
Entre deux bras de mer ou s’allonge le soir,
On dirait une tête encore couronnée
D’un diadème d’or qu’on imagine voir.
Vers ce calme géant qui protège et menace,
Dans son sein entr’ouvert la pitié le porta
Où la vague apaisée avait marqué sa place.
A force de combats, de prestige et d’audace,
Comme un de ses enfants le vieux mont l’accepta.

Et le matin l’on voit, sur le bord de la plage,
Une fée apporter de quelque fleur sauvage,
Un bouquet odorant dont s’emparent les flots ;
Mon père dans sa tombe, et le géant fidèle,
L’un par sa cendre froide et l’autre sa prunelle,
Bénissent cette main dans leurs muets sanglots.

Ecrit à Marseille, le 22 février 1947.

 
 
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À ...

Ne te rappelles-tu quand la valse amoureuse
Déroulait à mes yeux ses écheveaux impurs ?
L’homme, ce mécréant, de ta bouche trompeuse,
Aspirait chaque mot pour des baisers futurs.

Tu te penchais sur lui, ta main sur sa poitrine,
Comme pour écouter battre plus fort son cœur,
Et donner plus d’attrait à cette heure divine,
Imprimais sur ton front le sceau de la douleur.

J’étais jeune, dis-tu. Je voulais bien le croire :
La soif des passions nous étreint à vingt ans.
Ce moment ne pourra jamais, de ma mémoire,
S éteindre qu’avec moi dans la fleur du printemps.

Ah ! ce premier amour, innocent et fidèle,
Je l’avais fait sacré, je me serais battu,
Me serais fait tuer si l’on m’eût parlé d’elle
D’un ton désobligeant, concernant sa vertu.

Je comprends qu’un mortel ait la désespérance,
Après avoir été trahi dans ses amours,
Il rumine son mal, il l’étouffe en silence :
Pour n’y penser jamais, il y pense toujours.

Écrit à Marseille, le Le 24 août 1945.

 
 
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SOUVENIRS

Je t’ai connue, enfant, dans mon petit village,
Je ne savais ton nom, ton culte, ton pays ;
Nous nous vîmes, un soir, en longeant le rivage
De cette mer sauvage
Dont les flots, à nos pieds, déroulaient le tapis.

Pour la première fois, passant sous ton aisselle,
Sans ta permission, mon bras voluptueux
Dessina les contours de ta taille rebelle,
Et côte à côte tous les deux,
Mes regards dans les tiens, je vis dans ta prunelle
Briller notre bonheur, d’un jour mystérieux,
Qui n’avait, pour témoins, que la mer et les cieux.

Et sur un bac de bois, tout recouvert de mousse,
Ouvrage des amants qui venaient chaque soir
Elever un autel, face à la lune rousse,
A leur amour naissant, nous vînmes nous asseoir.

Pour la première fois, je sentis mon cœur battre ;
Nous avions, à peu près, le même âge tous deux ;
Tes yeux étaient d’azur et ta gorge d’albâtre ;
Ton souffle dégageait un air mystérieux ;
Ta lèvre était de miel, ta parole folâtre,
Quoique ton front parût par instant soucieux.

Cependant, je voulais savoir quelle tristesse
Ombrageait ce moment si beau, si solennel :
Tu n’avais pas encor le titre de maîtresse
Dont te dotait mon cœur devant ce simple autel.

Cet autel, tu le sais, sous un toit de verdure,
Je l’avais élevé pour t’y mener un jour
Et devant l’éternel, l’éternelle nature,
Consacrer à jamais l’acte de notre amour.

Il le fut ; tu rougis ; tes deux mains dans la mienne,
Je sentis le contact d’un anneau nuptial ;
Ma gorge se serra, je regardai la tienne
Palpiter comme un sein quand termine le bal,

Une larme naquit d’entre tes cils d’ébène,
Ruissela sur ta joue et tomba sur ma main ;
Tu voulus me conter ta faiblesse et ta peine,
Ton espoir, ton remords, tout ce que l’âme humaine
Peut dire devant Dieu qui nous absout demain.

Ecrit à Marseille, le 19 novembre 1945.

 
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JE SONGE...

Pour avoir un peu de courage,
Je songe au bonheur d’autrefois,
Ne tiens plus compte de mon âge
Pour ne pas en sentir le poids.

Lorsque je viens, dans ma patrie,
Le cœur serein, l’âme attendrie,
Aux pierres des vieux monuments,
Au long clocher de mon église,
Où dans l’ombre une vieille, assise,
Abrite ses derniers moments,

Je demande une confidence
D’amour, de chagrin et d’espoir :
Si l’amour est notre espérance,
L’espérance est notre devoir.

Là, dans ce mur...ce caractère,
Tracé par une fine main,
Garde son précieux mystère
Qu’ignorera toujours demain.

J’ai dit, à la femme que j’aime,
Le mot qu’on prononce à vingt ans ;
Aujourd’hui ce mot est le même,
Avec, en plus, quelques printemps.

Je mêle, à mon passé sublime,
Mon présent pour mon avenir ;
Cet amalgame détermine
Le rôle que je dois tenir.

Suis-je étranger sur cette terre,
Patrimoine de mes aïeux ?
Ici ma sœur, et là ma mère
Ont pour jamais fermé leurs yeux !

Autour de moi l’herbe frissonne ;
Les roseaux parlent dans le vent,
Comme ferait une personne
Qui vient de nous passer devant.

Approchez, mon fils et ma femme,
Ne me laissez pas en chemin ;
Soutenez mon cœur et mon âme
Pour accomplir notre destin.

Voyez dans le jour qui se lève,
Dans le jour qui s’éteint, voyez
L’image de notre beau rêve
Qu’autour de moi vous déployez.

L’homme est à plaindre, qui ne laisse
Aucun passé derrière lui
Pour l’accompagner aujourd’hui,
Comme s’il n’eût eu de jeunesse.

Écrit à Marseille, le 26 avril 1948.


 
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O CIEL !

Donne- moi le pouvoir de m’envoler comme elle,
Donne-moi le bonheur, que connaît l’hirondelle,
De changer de climat, et sous des ciels nouveaux,
Faire entendre mes chants au pays des prophètes,
Sur quelque minaret, à l’abri des tempêtes,
De construire mon nid entre deux soliveaux.

O pays du soleil ! Quels charmes tu recèles !
Tu dispenses dans l’air des milliers d’étincelles.
Tout respire le luxe et la fécondité :
Le pauvre se nourrit des bienfaits de la terre ;
L’arbre donne son fruit, et l’homme, sa prière,
Etant partout chez lui dans son immensité.

Ecrit le 13 juin 1946.

 
 
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UN SOIR DE JUIN

C’ était un soir de juin, près des marches d’un temple,
Nous regardions grossir la lune dans les cieux,
La lune qui sourit, muette, et qui contemple
Des amants attardés les pas silencieux.

Que de baisers dans l’ombre et de cris sur la bouche !
De ces cris étouffés qu’intercepte la main,
De frissons qu’elle donne et prend quand on la touche,
Rendant pesant le pas et plus court le chemin.

Le socle d’une croix reçut mon front humide ;
La femme que j’aimais pleurait sur mes genoux,
Se demandant pourquoi le temps est si rapide,
Et de notre bonheur se montre si jaloux !

Je cueillis une fleur, qu’elle mit dans mon livre
Après l’avoir baisée une dernière fois,
Comme un grand souvenir duquel je dusse vivre
Faute de sa présence et de sa douce voix.

O ! pauvre fleur des champs, sur la page oubliée,
Te voilà desséchée après plus de vingt ans,
Après plus de vingt ans dans un livre, pliée,
Tu conserves encor ma vie et mon printemps.

Ecrit le 20 juin 1946.


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L’OISEAU

Il est un peuple dont la voix
Fait retentir le vert feuillage :
Ami des roseaux et des bois,
Il ne faut pas le mettre en cage.

La grande nature est sa mère,
Puisqu’il en est le digne enfant ;
Son existence est éphémère ;
Il coule sa vie en chantant.

Dans les rameaux où la rosée
Suspend sa goutte de cristal ;
Sur la feuille où Dieu l'a posée,
Il s'y démène avec régal.

Il lisse sa plume de soie
Que son bec livre à l’aquilon,
Elle tourbillonne et se noie,
Et disparaît dans le vallon.

Le sage guette sa présence,
S’assied pour mieux le contempler
Et jouir de son innocence
Sous le lierre qu’il va peupler.

Peupler de sa chanson divine,
À l’heure où le berger descend,
Avec son troupeau, la colline,
Aux clartés d’un jour finissant.

Ecrit à Marseille, le 6 octobre 1947.

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PENSÉES D’AUTOMNE

Les bois ont découvert, devant moi, leur mystère,
Et l’arbre a laissé choir son feuillage éphémère,
L’oiseau s’est enfermé dans son isolement,
Son gosier, plein de charme, est muet seulement
Pour quelques mois d’hiver quand s’endort la nature,
Il vit, il se repose, il attend sans murmure
Le retour du printemps ramenant les beaux jours
Où vont recommencer sa vie et ses amours.
Dans l’air, entreprenant le périlleux voyage
De la migration et suivant le sillage,
L’hirondelle parcourt, dans son vol hasardeux,
Des immenses déserts, des sommets montagneux
Pendant que, dans les cieux, une faune contraire,
Fuyant les doux climats, cherche une froide terre.
Le partant, aussitôt, par le nouveau venu,
Se sachant remplacé, vole vers l’inconnu.
Le pôle vers lequel l’homme tourne ta tête
Est marqué dans son cœur plus fort que la tempête
Poussant contre l’écueil un navire perdu.
L’homme sent son néant, demeure confondu.
Alors les souvenirs, le temps de sa jeunesse,
Ses parents, ses amis, et même sa maîtresse
Surgissent devant lui comme pour lui parler,
Lui dire :  «  De ta vie il faut te rappeler ».
Le sceau vainqueur du temps à marqué chaque chose :
Là, le banc de rocher où ton serment repose,
Garde le souvenir de tes tendres propos
Qu’ont recueillis les vents, qu’ont répétés les flots.
Regarde autour de toi : tout parle, tout s’anime,
Le brin d’herbe, l’insecte, et cette voix sublime
Dont l’écho porte au loi le retentissement,
Comme un trésor caché que découvre un amant.
Là, ne dirait-on pas l’antre de la sibylle,
Entre deux gros rochers, dont la présence hostile
Saisit le curieux d’un pénible frisson ?
Tout à coup, s’élançant de sa noire prison,
Un vent fétide et sec s’épandant sur la plaine,

Porte, jusqu'à la mer, l’odeur de son haleine.
Jadis, j’aimais ces champs recouverts de gazon,
Mon œil les parcourait jusques à l’horizon
Où le soleil couchant limite sa lumière ;
Pour mieux les regarder je fermais la paupière.
Je le rouvre, à présent, sur un monde moins beau,
Dont l’aspect reproduit l’image d’un tombeau.
Malgré que l’on m’ait dit que j’ai le regard triste,
Je n’ai pas le reflet chagrin d’un égoïste,
Je parle, je réponds, je questionne aussi,
Dissipe le regret sur un front en souci.
Je donne, à l’amitié, le meilleur de moi-même,
Et n’interroge pas pour savoir si l’on m’aime.

Ecrit à Marseille, le 4 octobre 1947.

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JE VOUS PARLE...

Je vous parle, hélas ! de près de quarante ans,
J’étais allé fleurir la tombe de mon père ;
Je ne me souviens plus du nom du cimetière :
C’était quand les beaux jours proclament le printemps,
Un merle noir chantait la vie et la lumière,
De l’heure prolongeant les rapides instants.

Mes yeux scrutaient le sol, cherchant un nom dans l’herbe ;
Plus par le souvenir que le chemin connu,
Puis je m’en retournais par où j’étais venu,
Regardant, malgré moi, quelque tombe superbe
A côté d’un glacis, de pierre soutenu.

Le Mont Blanc, couronné de sa neige éternelle,
Veillait sur la Cité que limitent les flots,
On eût dit un géant se tenant au repos
Après avoir conquis sa forte citadelle,
Heureux et contemplant la fin de ses travaux.

Le messager des dieux, un cygne dans l’espace,
Au-dessus du Salève, aventurant son vol,
Évoluait soudain, digne enfant de sa race,
Après avoir quitté noblement notre sol,
Regagné, dans les cieux, son immortelle place.

Mon père, as-tu repris la lumineuse route
Vers où l’éternité nous montre le chemin ?
Tu n’es pas revenu dissiper notre doute,
Nous espérons encor, et notre oreille écoute
Pour savoir si toujours nous t’attendrons en vain.

Au foyer de l’amour, cette mère éplorée,
Tu la laissas gémir, ses deux enfants au sein ;
Tu t’en allas mourir, et finir ton destin,
Loin de leurs bras tendus, dans une autre contrée,
Pour assurer leurs jours d’une miette de pain.

Ses yeux, source de pleurs, du sceau de leur empreinte
Gardèrent longtemps la douleur ;
Les gens de son pays, en entendant sa plainte,
Regardaient, chaque jour, son âme presque éteinte
Sur sa figure sans couleur.

Un voile noir couvrit son jeune et beau visage ;
Ceux qui la connaissaient, la guettant au passage,
Faisaient, en la voyant, le signe de la croix ;
De leur regard, au ciel, montait une prière.
Ma mère, sur ses yeux, repliant sa paupière,
Se prenait à pleurer au travers de ses doigts.

Ma mère ! à vingt huit ans, si jeune et déjà veuve !
Elle souffrit longtemps de cette dure épreuve,
Elle s’enveloppa de son grand voile noir,
Et ceux qui la voyaient, ses enfants auprès d’elle,
Disaient, en se tournant : « Mon Dieu comme elle est belle ! »
Puis s’essuyaient les yeux du bout de leur mouchoir.

Venez. Vingt ans après vous entendez redire
Ces mots que chaque jour me répète mon cœur,
Ces mots qu’à tout moment quelque lèvre soupire
Comme s’ils existaient encor pour mon bonheur.

Oiseau, que me dis-tu, dans ton brillant ramage,
Toi tendre rossignol, fidèle ami des bois ?
Que me rapportes-tu, dans ton divin langage ?
Est-ce que dans tes chants n’entends-je pas sa voix ?
C’est elle, chante encore :Je crois voir son visage ;
C’est elle, rossignol, c’est elle que je vois !

Le temps... Que peut le temps lorsqu’on aime une mère ?
Ah ! n’oublions jamais ce qu’elle fut pour nous :
Elle sacrifia sa vie à la misère ;
Pour épargner nos jours se fit la vie amère,
Pour nous donner un lait nourrissant et plus doux.

Elle est morte. Son sang circule dans mes veines,
Son tendre souvenir ne mourra qu’avec moi,
Que j’habite les monts, ou vive dans les plaines,
Je la verrai toujours, dans ces vastes domaines,
Passer et repasser, sans demander pourquoi.

Qu’elle vive ! Après tout, que m’importe le reste ?
Qu’elle entende ma voix, me reconnaisse enfin,
Que mon regard au sien lui soit plus manifeste,
Je suis seul survivant, tel est notre destin.
Son image est en moi comme dans un écrin.

Ecrit à Marseille le 9 octobre 1947.

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EN ENTRANT DANS L’EGLISE

J’avais écrit « Amour », sur le mur de l’église ;
Sous le porche, une voix tremblante murmurait ;
Une femme, en haillons, à terre était assise,
Je ne sais en quel saint encore elle espérait.

Elle avait mis en lui toute sa confiance,
Le pain qu’elle attendait était lent à venir.
Je lui glissais, dans l’ombre, apaisant sa souffrance,
Un débris de biscuit, l’empêchant de mourir.

Alors ses grands yeux noirs, tournés vers la lumière,
Acceptèrent le jour, en ouvrant leur paupière.
Ils devinrent humains par leur regard plus doux ;
Sa bouche s’entrouvrit, et sa langue put dire
Le mot qu’elle rendit par un simple sourire
Me venant au travers d’un flot de cheveux roux.

N’avait-elle pas droit, fille de la souffrance,
De clamer devant Dieu toute son innocence ?
Martyre du péché commis par les mortels,
Devait-elle subir le châtiment suprême,
Condamnée à mourir, de la faim, elle-même
Pour avoir dit ce mot « Amour ! » sur les autels ?

Quels étaient ses parents ? Et que pensait sa mère
Pour avoir repoussé, de l’enfant, la prière ?
Ils disaient qu’un enfant ne meurt jamais d’amour.
Et l’amour consumait le plus cher de son âme :
Ayant atteint cet âge où l’on est bientôt femme,
Elle se transformait, changeait de jour en jour.

Du logis paternel la porte fut fermée,
Le chien de la maison reconnaissant sa voix,
Pour soulager son cœur, en amoindrir le poids,
Vint lui lécher la main qu’il eut toujours aimée,
Y poser son museau pour réchauffer ses doigts.

Il faisait froid ; le ciel était garni d’étoiles,
Les nuages, sur mer, laissaient courir leurs voiles,
Le vent soufflait dans l’ombre et murmurait tout bas
Des avertissements que ne comprenaient pas
Ni l’enfant ni le chien ; et la mort, sans murmure,
D’un linceul glacial leur fit une parure.

Je m’arrête ; le mot que j’ai mis sur la page,
En tête de ces vers, je l’ai souffert aussi ;
Jadis je l’ai souffert en rapport de mon âge,
Ce n’est pas un vain mot ni même un bavardage,
D’autres, comme mon cœur, le comprendront aussi.

Ecrit à Marseille, le 5 septembre 1947.

 

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AUTREFOIS

Combien de formes errantes
Ont passé devant mes yeux !

Hélas ! les plus enivrantes

Seraient-elles dans les cieux ?

Je me dis : dans les bocages,
Je les voyais autrefois ;

Elles n’étaient pas sauvages,

Et répondaient à ma voix.

Une, plus belle et plus grande,
Plus gentille que ses soeurs,

Se détacha de la bande

Pour aller cueillir des fleurs.

Elle m’offrit la plus belle.
Dans un geste de douceur :

« Elle est pour toi », me dit-elle

En l’épinglant sur mon cœur.

Nos regards se rencontrèrent,
Nous frissonnâmes tous deux,

Puis nos lèvres se serrèrent

Dans des baisers savoureux.

Nous craignîmes que la terre,
Sous nous, ne vînt à manquer,

Et ne brisât le mystère

Que nous venions d’invoquer.

Me prenant la main, la belle,
Sous les branchages mouvants,

Me fit courir après elle,

Dans les bois aux quatre vents.

Cette enfant de la nature,
Amante des papillons,

Des oiseaux, de la verdure,

Des chaumes et des sillons,

Aux bruits d’unecascatelle,
Entonna quelque chanson.

« Vois ! c’est ici - me dit-elle,

Que se cache ma maison ».

Elle exécuta la danse
Que font les nymphes des bois,

Murmurant une romance

Que je chantais autrefois.


Elle évoquait le visage

Dont j’avais le souvenir,

Jusques au bord du rivage

Où je le voyais venir.

« Ne pense plus », me dit-elle :
« Regarde, au fond de mes yeux,

Monter comme une hirondelle,

Notre rêve dans les cieux.

On nous les dit sans limite ;
Ainsi, nous voyagerons,

Suivant leur immense orbite,

Sans savoir où nous irons.

Suspendus, loin de la terre,
Le ciel nous absorbera,

Continuant le mystère

Que nul ne dévoilera.

Ecrit à Marseille, le 5 août 1955.

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JE SUIS COMME L’OISEAU...

Je suis comme l’oiseau qui change de rivage
Pour l’émigration, et dont le frais plumage

Qu’il vient de revêtir, va lui permettre, enfin,

De franchir les forêts, les montagnes, les plaines,

Comme un puissant seigneur visite ses domaines

Sans jamais renvoyer ses désirs à demain.

L’automne chante en moi, dès que la feuille tombe,
Lorsque je vois partir la dernière colombe

Pour des climats plus doux, où je voudrais aller.

Mais le sort m’a cloué sur cette boule ronde,

Qu’on appelle la terre, et quelquefois le monde,

D’où je voudrais m’enfuir et, souvent, m’envoler.

Ivre de liberté, de lumière et d’audace,
Mon œil scrute le ciel, la lumière qui passe,

Et, dans son infini, cherchant à s’y noyer,

Roule d’un monde à l’autre, et l’univers immense,

Se jouant du rayon, toujours le recommence,

Le suit, depuis toujours, jusques à son foyer.

Quand, le front dans les mains, débridant ma pensée,
La laissant revenir où je l’avais laissée,

Je revois le miroir magique de mes ans

Où je vécus heureux, sans soucis sur la terre,

Pouvant, quand je voulais, embrasser une mère

Dont le front sur le mien, tombait ses cheveux blancs.

Un tremblement nerveux agite ma personne,
Je frémis, je gémis, aux rêves m’abandonne ;

J’écoute : plus de voix, dans le calme des nuits,

Ne murmure des sons tout bas à mon oreille.

Et, lorsque, le matin, le soleil me réveille,

Je sens ses doux rayons sur mes yeux éblouis.

Ecrit à Marseille, le 13 novembre 1951.

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À MA MEMOIRE

Ah ! je te critiquais, malheureuse mémoire,
Et ton nom, aujourd’hui, fait à jamais ma gloire ;

Trop volage instrument de mon humanité,

Tu fuis et tu reviens, repars à volonté.

Le cheval de l’arabe, au devant de son maître,

Exécute des bonds avant de se soumettre,

Hennit, rue, et fidèle à son joug qui l’attend,

Lui présente sa croupe et son flanc palpitant.

Si j’ai besoin de toi, sauras-tu me comprendre ?

Viens, approche, il le faut ; ne te fais plus attendre ;

Descends des régions que tu n’habites plus,

Retire leur les biens qui leur sont superflus,

Et, tombant tour à tour, répandus dans l’espace,

Qu’ils viennent recouvrer leur légitime place.

Alors, de ma raison, rappelant la douceur,

D’un motif d’autrefois, je fais vivre mon cœur.

Le soleil était beau ; plus fraîche était l’aurore.

A ce doux souvenir mon sein palpite encore ;

La mer offrait son onde à l’odorant zéphyr ;

Le ciel, qui s’y mirait, recevait son soupir.

Quel cadre harmonieux, o nature infinie !

Quelle douce peinture au printemps de ma vie,

Quels rêves, quels espoirs ne réveillais-tu pas,

Au-dedans de moi-même, à chacun de mes pas !

L’obstacle était vaincu, tout pliait sous moi-même,

L’horizon n’était plus cette borne suprême

Où vient s’abattre, un jour, notre dernier espoir

Quand, nos yeux éblouis, aveugles, croyant voir

La lumière qui luit dans la voûte azurée,

Pour l’avoir seulement un moment désirée.

Mes désirs, exaucés aussitôt que pensés,

Par mes lèvres, jamais, n’étaient plus prononcés.

Nulle peine, à mon corps, ne s’offrait en partage,

Le bonheur éternel semblait mon héritage.

Mais non content des biens réels que j’ai reçus

Je me crois malheureux, quand ils sont superflus.

Quand l’homme atteint cet âge où la raison l’égare,
L’ambition devient ce qu’elle lui prépare :

La solitude pèse, et retire, à son cœur,

Ce charme éblouissant d’une heure de bonheur.

O ! toi, qui peux beaucoup à mon âme affligée,

Esprit consolateur, l’aurais-tu négligée,

Chassé le doux repos qu’elle connut un jour,

Enlacée, à demi, dans les bras de l’amour

Les sonores baisers d’une lèvre adorée,
A recevoir les miens sans cesse préparée ?

Ces mots, desquels l’on vit, qui font tout un poème,

Que l’on fait répéter à celle que l’on aime,

Et jurer sur la foi d’un mutuel serment,

Aux marches de l’autel ou sous le firmament.

Écrit à Marseille, en septembre 1950.

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CONSEIL

Désirez-vous ne point vieillir ?
Conserver longtemps un air jeune ?

Un jour sur sept faites le jeûne,

Ne frittez pas, faites bouillir,

Vos aliments. La sauge austère,
L’ail, le romarin et le thym

Seront pour vous, chaque matin,

Une boisson très salutaire

Dont s’accommode l’intestin.

Vous défierez le temps et l’âge,
Quand vous boirez cet élixir

De longue vie à long usage ;

Ne pourrez même plus mourir ;

Rentrerez droit dans l’avenir,

La foi secondant ce breuvage.

Ecrit à Marseille, le 28 octobre 1948.

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Date de dernière mise à jour : 2023-08-22 12:17:39

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